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Epoque gallo-romaine

Les Romains à Saint-Merd

Parmi les sources consultées, un article de Victor Forot publié en 1912 [1] nous apporte les précieuses informations suivantes : 

Trente-cinq communes au moins du département de la Corrèze ont donné des preuves du passage des Romains sur leur territoire. Il nous a paru intéressant de classer les noms de ces communes dans l'ordre qui nous semble être celui que les Romains ont suivi en occupant le Bas-Limousin (aujourd'hui Corrèze), étant donné qu'ils sont entrés par le Nord. Nous ne donnons pourtant ces itinéraires que sous toutes réserves et comme indication.

Venant de Gergovie, les Romains arrivent en Bas-Limousin par Eygurande, passent à Aix et descendent à Ussel, où ils stationnent et se divisent. La bande principale va par Saint-Angel, l'autre par Bort et prennent à peu près les voies suivantes, faisant quelques incursions dans le pays environnant :

La première bande quittant Ussel passe à Mestes, Saint-Angel, se dirige vers Pérols, St-Merd-les-Oussines et Bugeat, poursuit jusqu'à Chamberet et Masseret, descend sur Meilhards, Salon-la-Tour, Uzerche et Seilhac, et se rend à Tintignac, point de ralliement principal.

La seconde bande partant d'Ussel se dirige sur Saint-Exupéry, Saint-Bonnet-près-Bort, Saint-Pantaléon-de-Lapleau, Rilhac-Xaintrie, remonte vers Saint-Paul, Pandrignes, Espagnac, Saint-Priest-de-Gimel, Bar et va rejoindre le gros de la troupe à Tintignac (Naves).

L'évacuation se fit alors probablement de Tintignac en deux groupes encore. L'un se dirigeait vers Chameyrac, Malemort, Saint-Cernin-de-Larche, et le pays des Pétrocoriens (Périgord), l'autre par Roche-de-Vic, Albussac, Neuville, Argentat, Monceaux, Saint-Geniez-ô-Merle, Mercœur, Saint-Julien-Maumont et passa dans le pays des Cadurques.

 

Le lecteur trouvera facilement ces itinéraires, sur une carte orographique de la Corrèze, étant connu que les Romains suivaient généralement les sommets pour se rendre d'un point à un autre.

La même source nous apprend aussi qu’en creusant les fondements d'une maison, dans la commune, au bourg même de St-Merd-les-Oussines, une urne en terre fut découverte, contenant des ossements humains calcinés et un bel aureus en or de Néron, sur lequel on pouvait lire : « Nero Caesar Augustus », et au revers « Concordia Augusta ».

 

 

Marius Vazeilles [2] corrobore cette dernière découverte et y ajoute, toujours pour la commune de Saint-Merd-les-Oussines, que des tuiles gallo-romaines furent aussi découvertes dans un champ des Rioux, à quelque cent mètres du bac des Cars, ainsi qu’une meule et une muraille à Lissac [3].

Selon lui, « notre région a été certainement très peuplée, en particulier pendant la période romaine. Pour en donner une idée, je puis affirmer que chaque village actuel ou maison isolée un peu ancienne a, sauf de rares exceptions, son pendant gallo-romain dans le voisinage [4] ».

Dans une publication de 1956 intitulée "L'époque barbare en haute Corrèze", Marius Vazeilles indique avoir signalé l'existence de fosses funéraires à Lissac (commune de Saint-Merd-les-Oussines), "au lieu-dit Les Grangettes, à l'endroit où la route qui vient de Pérols par Les Maisons rejoint celle de Meymac à Saint-Merd".

Il précise qu' "en extrayant du sable, M. Courty, entrepreneur, avait rencontré 18 curieuses fosses creusées dans un tuf aréneux rouge, riche en fer. Quelques unes de ces fosses étaient des silos, mais la plupart étaient des tombes d'une période où la mode était d'incinérer les corps. Depuis, il m'a été signalé et j'ai pu étudier beaucoup d'autres fosses de même forme que celles de Lissac, la forme de l'"oule", soit de la marmitte à ventre renflé où l'on fait cuire les châtaignes".

Il ajoute que : "M. Cloup, de Lissac de St-Merd-les-Oussines, a trouvé dans la fosse près de sa maison neuve un objet en cuivre très peu vert-de-grisé" (...), mais c'est surtout sur la poterie que je veux insister. Des tessons de même nature et provenant de pots de même forme ont été aussi rencontrés dans quelques souterrains, dans ceux qui ont servi de refuges, qui étaient de véritables maisons souterraines et qui ont pu depuis être fouillés. C'est le cas du souterrain près de Coudert de Pérols, de celui de Coignoux de Viam. C'est surtout le cas du souterrain de Lagorse de Tarnac.

 

Les souterrains non encore fouillés sont en général de même forme caractéristique. Je signale donc, en plus des précédents, ceux des endroits désignés ci-après : (...) Peyrelevade, Saint-Setiers, Saint-Merd-les-Oussines, Sornac (...). Il faut dire qu'en général, les fosses avoisinent les souterrains et paraissent être de même époque".

 

Marius Vazeilles termine en annonçant fièrement : "voici qu'une trouvaille récente (vestiges de l'agglomération mérovingienne du "Bois des Brigands"), très importante chronologiquement, m'autorise à vous dire que partout où l'on trouve les tessons décrits dans cette étude, on est en présence de vestiges d'un passé qui se situe entre les Grandes invasions du Ve siècle et le règne de Charlemagne."

 

Le site des Cars

La présence gallo-romaine sur la commune de Saint-Merd-les-Oussines est notamment avérée sur le site "des Cars".

Parmi les gisements gallo-romains, assez nombreux en Limousin, ce site se démarque par l'importance et la qualité architecturale de ses vestiges.

 

Il s’agirait d’un sanctuaire rural (nef ou forteresse gallo-romaine), probablement fondé sous le règne de l'empereur romain Hadrien (vers 80-100 après JC, voire quelques décennies plus tard), dans lequel on distingue clairement un secteur d'habitation et un autre espace à vocation religieuse et funéraire comprenant deux édifices ; ces deux emprises étant distantes de 300 mètres.

 

 

 

 

 

 

 

Le temple des Cars aurait été dédié à Jupiter, la plus importante des divinités de la civilisation romaine.

​Dans le mausolée fut notamment découverte l'urne funéraire d'un grand chef régional gallo-romain. Il s’agirait d’un proconsul descendant du fameux Duratius de Lemovicum, chef gaulois, proche et fidèle soutien de l’empereur César.

 

Le nom du site est celui d’un vicus (ville ou village) cultuel gallo-romain dénommé Carsis, de kar (gros rocher). Les ruines sont les restes d'une nef ou d'une forteresse gauloise, devenue basilique chrétienne au IIIe ou au IVe siècle.

 

On pense en effet que, suite à l’arrivée du christianisme en Limousin (voir la vie de Saint Martial), le site des Cars aurait fait office de basilique chrétienne et la cuve monolithe appelée « bac des Cars » aurait alors été utilisée comme cuve d'immersion pour les baptêmes.

Quelles que soient les incertitudes inhérentes à la rareté des sources historiques, les ruines des Cars constituent un témoin incontestable et emblématique du fort ancrage matériel et spirituel de la civilisation gallo-romaine sur le Plateau de Millevaches.

Les trois quarts de ce site gallo-romain se trouvent sur la commune de Saint-Merd-les-Oussines, l'autre quart se situant sur la commune de Pérols-sur-Vézère.

 

Un exposé, fait par M. Franck Delage, des résultats des fouilles poursuivies par l’administration des Beaux-Arts sur le site de la commune de Saint-Merd-les-Oussines, aux lieux dits le « Château des Cars et le Bac des Cars », est paru au Journal officiel de la République française le 14 avril 1939 (page 34) :

« D’une part, il s’agit d’un édifice de grand appareil, en granit, en forme de basilique, avec abside à l’Ouest, et d’un grand mausolée de même appareil, ayant abrité une sépulture à incinération. D’autre part, les fouilles encore en cours ont révélé d’importantes substructions, partiellement en grand appareil aussi, où l’on discerne plusieurs salles hypocaustes, des canalisations, et où l’on remarque, en particulier, une énorme cuve monolithe en granit ».

Le site fut mis en valeur par Marius Vazeilles, tout à la fois garde des Eaux et Forêts (à l’origine d’une politique de reboisement du plateau de Millevaches), homme politique et archéologue. Les premiers travaux sur le site des Cars intervinrent aux environs de 1936, puis reprirent après guerre toujours sous sa houlette.

 

À l’heure actuelle on peut admirer les ruines d’un bâtiment de près de 60 m de longueur, constitué de deux parties distinctes, la seconde étant de construction plus récente (sans doute fin du IIème siècle ap JC). Cette dernière était une luxueuse villa, probablement érigée par un dignitaire local désireux de résider à proximité du sanctuaire. Orientée au sud, cette résidence était protégée du soleil par une galerie couverte dont la couverture reposait sur une longue colonnade. Elle comprenait également un jardin avec bassin et jet d'eau, prolongé par une terrasse orientée plein sud et bordée par un étang (aujourd'hui asséché).

 

 

La modernité des aménagements est assez époustouflante pour un édifice vieux de dix-huit siècles : "chauffage central" par le sol (hypocauste), salle de bains avec sa réserve d’eau (l’extraordinaire bac monolithe de plus de 2 m de diamètre, pesant 9 tonnes et d’une capacité de 6000 litres), système d’égouts …

 

 

 

 

 

Alentours, la toponymie locale témoigne très favorablement en faveur d’un intense peuplement gallo-romain.

Dans une étude d’ensemble du Bas-Limousin, F. Delage [5] relevait des vestiges gallo-romains dans 122 communes sur les 289 du département de la Corrèze.

​Diverses fouilles archéologiques, ont permis la découverte de vestiges et objets gallo-romains en assez grande quantité sur l’ensemble du Plateau de Millevaches, dont certains sont exposés au musée Marius Vazeilles à Meymac.

​​Les Maures en déroute traversent la région


En l'an 732, des troupes de “Sarrasins” [6] déferlent sur la Montagne limousine en provenance du nord-ouest.

Depuis plusieurs années, ces guerriers venus d’Espagne s’étaient installés en Occitanie et tentaient d’étendre leur domination vers le Nord. Charles Martel [7] leur opposa ses troupes lors de la célèbre bataille de Poitiers [8], le 25 octobre 732, et les mit en déroute [9].

C’est suite à cette défaite, en pleine débâcle, que les guerriers arabes survivants foulent au galop les terres limousines.

 

Sur leur route, ils sèment la terreur et pratiquent des “razzias”. Des villages sont pris d’assaut, pillés et brûlés, les femmes enlevées et les hommes souvent tués... Selon la légende, Guéret sera miraculeusement épargnée grâce aux prières de saint Pardulphe.

Ces troupes vont se replier au Sud et ne reviendront pas. Toutefois, certains feront souche et on explique parfois par une hérédité supposée l’attribution du patronyme Moreau, qui viendrait de Maure, l’autre nom des Sarrazins.

 

De même, les traits, le teint mat et les cheveux noirs, que l’on observe encore chez certains individus, au sein de familles n’ayant jamais quitté le plateau de Millevaches, pourraient être la marque d’une ascendance mauresque génétiquement transmise depuis le Moyen-Âge et resurgissant épisodiquement au gré des générations.

 

D’autres legs sont historiquement avérés en Limousin, comme la technologie des moulins ou l'introduction du cheval “barbe”, une des souches de la célèbre race équine du cheval limousin (croisement anglo-arabe), née dans la région. Une controverse oppose enfin les historiens, dont certains attribuent aux Sarrazins la paternité de la tapisserie d’Aubusson...

 

Des descendants de Taïfales à Saint Merd ?

 

Il est avéré que le Limousin, initialement peuplé de Gaulois de la tribu des Lémovices, a accueilli les Francs, les Romains et les Wisigoths et vu passer les Sarrasins.  Mais qu'en est-il plus précisément du Plateau de Millevaches ?

 

Marius Vazeilles écrit en 1956 : "Nous sommes là au sud de la Loire, assez loin de la zone d'influence franque, et au nord de celle concédée en partie aux Wisigoths. Il s'agit, dans ce coin de pays de haute Corrèze, de l'installation pour un temps d'une des peuplades qui, au Ve siècle, poussées depuis quelques centaines d'années par l'invasion des Huns, ont inondé l'Occident, en particulier celles des Alains, Tafales et autres bandes sarmates".

 

Pour de nombreux chercheurs, des Taïfales (Taifales, Taiphales ou Tafales) ont en effet très certainement traversé le Plateau de Millevaches à la suite des légions romaines ; et  certains d'entre eux s'y sont probablement sédentarisés.

 

Ces Taïfales sont des un peuple de cavaliers nomades et guerriers originaires du Danube [10], initialement liés aux Goths qui combattirent les armées romaines avant de servir dans leurs rangs.

Les historiens nous apprennent en effet qu'aux IVe et Ve siècles, l’installation par l’Empire romain de communautés étrangères "barbares" sur les terres qu’il contrôle est une pratique courante. Plusieurs préfectures pluriethniques sont ainsi créées en Gaule aquitaine, qui gèrent des groupes de colons des ethnies sarmates et taifales.

En parallèle, l'Empire romain crée des unités militaires spécifiques de cavaliers taïfales.

Intégrées aux armées mérovingiennes, différentes communautés de Sarmates et de Taïfales se sont ainsi, au fil des siècles, progressivement sédentarisés et éparpillés sur un vaste territoire (Aquitaine, Limousin, Poitou, Vendée) [11] .

​Une communauté taïfale aurait notamment été présente sur le Plateau de Millevaches, comme en témoigne le nom du village de Taphaleschat (en patois Tafalétsa), sur la commune de Saint-Sulpice-les-Bois, près de Sornac, entre Saint-Merd-les-Oussines et Bellechassagne.

Cette particularité sociologique antique a d’ailleurs inspiré l’écrivain Richard Millet, de l’Ecole de Brive :

« Chez nous, là-bas, du côté des landes de Saint-Merd-les Oussines et des tourbières du Longeyroux,

où errent les âmes des cavaliers tafales, assassinés à coups d’épieux et de pioches, qui vous arrêtent,

vous parlent dans une langue inconnue et familière tout à la fois et vous font perdre la mesure du temps. »

Extrait de « Lauve le pur » de Richard Millet   

 

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Ruines gallo-romaines des Cars - Mausolée et temple.jpg

Vestiges du temple

et du mausolée funéraire

Reconstitution virtuelle du temple

et du mausolée funéraire du site des Cars

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Le secteur d'habitation

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Socle de l'urne cinéraire

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Emblème des unités de la cavalerie taïfale.png

Bouclier "dragon et perle" des unités romaines de cavaliers taïfales (Equites Honoriani Taifali iuniores) basée en Gaule. Dragon et perle bleus ;  boss  bleu et groupe autour du boss rouge. Champ blanc.

[1]  Bulletin de la Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze - Année 1912 p. 146 et 147

[2]  Ingénieur des eaux et forêts du Plateau de Millevaches, promoteur de son reboisement durant et après la Première Guerre Mondiale, militant et député communiste, résistant et archéologue, découvreur des Ruines des Cars en 1917 et directeur des campagnes de fouilles postérieures en 1936…). Marius Vazeilles est également l'auteur de très nombreux travaux publiés par la "Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze", dont il fut le président.

[3]  Marius Vazeilles, « Mise en valeur du Plateau de Millevaches », 2ème édition (1931), p.250-251.

[4]  Idem (p.246). Il indique également que le Plateau était alors couvert de grandes forêts, dont on trouve trace dans les tourbières (p.15-17).

[5] "Le Gallo-romain en Haute et Moyenne-Corrèze" 1938.

[6] C'est par ce terme que les textes de l’époque évoquaient principalement les musulmans (arabes, berbères et perses).

[7] Charles Martel (688-741) : homme d’État et chef militaire franc et, de facto, dirigeant de la Francie de 718 jusqu'à sa mort. Grand-père de Charlemagne.

[8] Après avoir conquis la péninsule ibérique (711-726), les forces musulmanes arabes et berbères ont franchi les Pyrénées (718-719) et saisi la Gaule narbonnaise, alors aux mains des Wisigoths (719-725).

[9] Dans l'urgence, le duc Eudes d'Aquitaine avait appelé à son secours les Francs et leur chef Charles, venu d'Austrasie (Est de la France). L'armée aquitaine fit sa jonction avec les contingents francs d'Austrasie et de Neustrie, permettant d’aligner quelque 30 000 guerriers face au sultan et gouverneur d'Espagne Abd er-Rahman, en marche vers Tours, où il veut mettre la main sur les richesses du sanctuaire de saint Martin.

[10] Les Taifales sont un peuple gothique de guerriers qui s’est établi dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la France. Ils étaient nommés Teifalus ou Theofali et, au Vème siècle,  Taifali  était déjà un  gentilé connu.

[11] Au sixième siècle, leur région de l'ouest de la Gaule avait acquis une identité distincte en tant que Thifalia. Comme les Francs, les Angles ou les Vascons, ils ont donné leur nom à une région entière : une partie de l’ancien diocèse de Poitiers (Vienne) porte en effet leur nom depuis le haut Moyen-Âge, le Tiffauges ( Teofalgicus pagus en  848 ), dont le chef-lieu est justement Tiffauges en Vendée. On retrouve aussi leur nom à Touffailles (Tarn-et-G.) et au lieu-dit La Tiffaille à Verrue (Vienne).

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